Marie Amiot: une raison de se lever le matin

Marie Amiot: une raison de se lever le matin

Cofondatrice et présidente-directrice générale de La Factry, Marie Amiot explore les chemins qui mènent au sentiment d’accomplissement, une clé fondamentale pour les employé·e·s et les entreprises d’aujourd’hui.

Qu’est-ce que ça veut dire pour vous, s’accomplir?

C’est savoir dans quelle direction on s’en va, et c’est comprendre pourquoi on s’en va dans cette direction-là. S’accomplir, pour moi, c’est quand tes actions portent, qu’elles ont un sens. C’est quand ta tête, ton cœur et tes jambes sont en harmonie: tu t’actives dans une direction qui te remplit de bonheur. Dans ma vie, j’ai vite compris que j’ai beaucoup plus de plaisir quand je travaille pour quelque chose de plus grand que moi.

Est-ce que ça a joué dans la décision de cofonder La Factry?

Absolument. C’est fondamental. Dans ma carrière, j’ai eu la chance de travailler dans des entreprises qui avaient de grandes et de belles missions. J’étais satisfaite de contribuer aux missions des autres, jusqu’au jour où je suis tombée sur un environnement de travail où je ne pouvais pas m’accomplir. Ça n’a pas duré longtemps. Je me suis permis de démarrer une entreprise, motivée bien sûr par ma fibre entrepreneuriale, mais aussi par cette idée de bâtir quelque chose qui aura un impact sur ma société, et de mobiliser des gens pour y contribuer.

Les deux dernières années ont été très difficiles sur le degré de motivation des troupes dans les milieux de travail: selon vous, la pandémie a-t-elle rendu plus important encore le fait de s’accomplir, dans la vie comme au travail?

Avant la pandémie, on s’activait chaque matin sans trop remettre les choses en question. Mais quand tout s’est arrêté, on s’est tous questionnés, individuellement et collectivement; tout le monde a soudainement compris l’importance d’avoir une raison de se lever le matin. Même si on le savait avant, ça a mis en lumière l’importance de sentir que l’on contribue, qu’on s’accomplit, que notre entreprise a une mission d’entreprise saine, noble, qui vibre avec nos valeurs… Il n’y a plus grand monde qui se lève aujourd’hui en se disant: bof, je vais aller faire ma petite job, business as usual. Pour accepter de redémarrer la machine, les gens recherchent un sentiment d’accomplissement. C’est devenu central.

S’ajoute à cela la pénurie de main-d’œuvre généralisée… La mise en place d’un contexte qui permet aux employé·e·s de s’accomplir préoccupe-t-elle particulièrement les entreprises que vous avez côtoyées dans les derniers mois?

À 100%. Il n’y a pas une entreprise qui ne se questionne pas là-dessus, en ce moment. On vit une tempête parfaite: une pénurie de main-d’œuvre, une période postpandémique avec des gens plus soucieux d’arrimer leurs objectifs de carrière avec leurs valeurs personnelles, et une transformation majeure du marché du travail, due entre autres aux technologies.

Les entreprises sont obligées de se questionner. Quelle est ma mission? Qu’est-ce que j’offre comme contexte d’accomplissement aux employés qui se joignent à moi? Pourquoi les gens viendraient-ils travailler chez nous? Comment motiver mes employés, et comment les garder motivés? Comment les faire grandir?

En plus, les emplois se transforment. Pour les individus, ça veut dire que le marché du travail nécessite des attitudes et des compétences complètement nouvelles, qui ne sont pas nécessairement enseignées dans les cursus traditionnels—on parle de collaboration, de pensée critique, de résolution de problème, de créativité…

C’est un énorme défi, partout.

Par où peut commencer une organisation qui souhaite faire en sorte que ses employé·e·s s’accomplissent davantage?
La première chose, c’est d’accepter que ça prend du temps. Une des plus grosses erreurs que les entreprises font, en ce moment, c’est de chercher la solution rapide et instantanée. Ça n’existe pas. Tu ne peux pas régler ça en suivant une classe de maitre, ou un atelier… Ce qui doit être fait nécessite du temps et un travail en continu.

Alors, par où commencer? La mission, la vision et les valeurs d’une entreprise, c’est la base. Toute entreprise qui n’a pas clarifié ça devrait commencer par là. Ce trio-là, c’est la lumière vers laquelle tout le monde doit se diriger dans l’organisation; c’est elle qui éclaire, c’est elle qui guide.

Ensuite, je dirais qu’il faut travailler sur la culture de leadership. Il faut amener tous ceux qui sont dans des positions de gestion, de leadership, à adhérer à un style moderne. Par exemple, à une époque où les choses se transforment aussi rapidement, les défis des entreprises sont trop grands pour être réglés par une seule personne, donc ça prend une équipe et une culture de gestion qui est beaucoup plus collaborative.

Enfin, il faut offrir aux gens qui travaillent chez nous les bons outils pour survivre et pour se déployer dans cette ère de transformation. C’est pour cela que La Factry existe: on veut offrir un centre d’excellence où venir développer des soft skills, et chercher des outils utiles pour tous les membres d’une équipe.

Quel rôle revient aux gestionnaires, dans la mise en place de ce type de culture d’entreprise? Quelles qualités doivent-ils développer?

Écoute, empathie, grande capacité de mobilisation, résolution de problèmes complexes… C’est extrêmement difficile d’être gestionnaire, en 2023. Il faut trouver l’équilibre entre solliciter les idées et les compétences des membres de nos équipes, et décider, donner l’alignement pour la santé et le futur de l’entreprise. Ça prend des gens qui ont une sensibilité pour amener plein de personnes différentes à adhérer à une vision et à embarquer.

C’est un travail qui est devenu plus «personnalisé». Lors de la révolution industrielle, on a tous été formés, et on a organisé les entreprises, pour arriver à refaire les mêmes choses de manière uniforme, de façon de plus en plus efficace et efficiente… Il y avait une recette à trouver et à faire appliquer par tout le monde. Aujourd’hui, on apprend à faire les choses différemment, on a de nouveaux enjeux, et le gestionnaire doit réussir à comprendre les forces variées des membres de l’équipe et à mettre tout ça en commun pour réinventer les choses. Les gens qui veulent perpétuer l’ancien modèle du gestionnaire (celui qui a toutes les réponses et qui contrôle tout) vont souffrir.

Le beau côté de notre époque, c’est que les gens ont envie de contribuer. Les employés de toutes les générations, mais particulièrement ceux qui entrent sur le marché du travail actuellement. Ils veulent comprendre à quoi ils participent, ils veulent s’accomplir, ils ont besoin de vibrer au travail. Et quand on réussit à allumer cette flamme-là, on a une brochette de compétences qui se mobilisent pour faire grandir notre entreprise, pour accomplir sa mission: c’est incroyablement fort.

Vous êtes PDG de La Factry: à quels moments, dans votre travail, ressentez-vous le plus grand sentiment d’accomplissement?

Le premier jour du retour des fêtes, ça a été une journée incroyable. J’arrivais de deux semaines et demie de vacances, j’avais atterri le dimanche soir à 21h, et je me disais: ouf, ça va être difficile de redémarrer la machine. Mais les gens sont arrivés à La Factry en disant: «ah, j’avais hâte, j’ai eu de belles vacances, mais je suis content d’être là», etc. De sentir que les gens se lèvent le matin contents de venir contribuer à une œuvre qu’on a créée sur un post-it, il y a sept ans, moi, ça me remplit de bonheur. Et j’ai ce même sentiment quand les clients nous font confiance.

Ce qui me fait capoter, ce n’est pas tant ce qu’on accomplit de manière tangible: c’est plutôt la motivation qu’ont les employés et les partenaires qui entrent ici le matin, et la confiance que nos clients ont en nous.

La Factry, c’est un OBNL: les gens ne viennent pas ici pour le salaire, ils viennent ici pour la cause. On réussit à aller chercher des personnes incroyables, qui pourraient faire des carrières commerciales probablement plus payantes, mais qui nous choisissent parce qu’elles sentent qu’elles peuvent contribuer à une mission à laquelle elles adhèrent. Je ne prétends pas avoir la recette parfaite pour avoir des employés épanouis, mais quand je vois ça, je me dis qu’il y a surement quelque chose qu’on fait correctement.

Quel serait un de vos points forts, selon vous?

Bien simplement, notre mission est forte, et on est en croissance, alors on laisse les gens prendre leur place dans cette mission-là. Tout le monde ici a un beau terrain de jeu pour s’accomplir. On grandit, alors il y a de la place, et on donne de la place.

On est à La Factry, alors on s’intéresse plus largement à la créativité: personnellement, avez-vous un truc ou un rituel infaillible pour vous replacer dans un état d’esprit créatif même dans le tourbillon du quotidien?

Moi, c’est la nature. La nature a toutes les réponses, elle est complète. Elle a créé une œuvre incroyable, c’est un système d’une sophistication sans limites, qui trouve toujours son équilibre. Dans notre petit théâtre humain, parfois, on se fait bien du cinéma, mais quand je vais en nature, je me ressource, je me dépose. Je suis du genre à aller plusieurs jours toute seule dans le bois; c’est ma petite recette à moi.

– Nathalie Schneider

Nathalie Schneider est journaliste spécialisée dans le plein air et le tourisme d’aventure et compte à son actif un très grand nombre de reportages de terrain. Elle est chroniqueuse plein air notamment au Devoir et occasionnellement à la radio de Radio-Canada. Elle s’intéresse également à des sujets reliés à la société, à l’art et à l’environnement.

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